Par Amadou GADJIGO, doctorant en philosophie à l'UCAD
Récemment j’ai initié une discussion entre ma petite sœur, élève en classe de CM2, et ChatGPT. A l’issue de la discussion vocale, durant laquelle ChatGPT a répondu à toutes ses questions laconiques qui l’intriguaient, elle a fini par me dire, sur un ton d’étonnement mêlé d’enthousiasme, ceci : « Ah bon donc c’est ici que notre Maître tire ses leçons ! » Après quelques instants d’hilarité, des questions se pressèrent dans ma tête : pourquoi est-elle si excitée en échangeant avec ChatGPT ? Les explications de ChatGPT sont-elles plus accessibles que celles de son maître ? Si elle était autorisée à utiliser ChatGPT dans sa classe, aurait-elle besoin encore de son maître ? Une ribambelle de questions qui remet à plat les modes d’apprentissage de l’Ecole traditionnelle à l’ère de l’intelligence artificielle. En effet, les véritables défis auxquels nos systèmes éducatifs font face aujourd’hui sont liés à la révolution numérique, particulièrement au développement exponentiel de l’intelligence artificielle. Longtemps axée sur des apprentissages théoriques et un modèle généraliste, l’école traditionnelle semble obsolète à l’épreuve de l’intelligence artificielle. Il convient, dès lors, de s’interroger sur l’efficacité des systèmes d’apprentissage de l’école ? L’IA n’offre-t-elle pas des outils plus efficients ? Comment l’école pourrait saisir ces fenêtres d’opportunités offertes par l’intelligence artificielle.
Des modèles d’apprentissage efficients pour réduire la « fracture cognitive »:
L’école est jusque-là l’institution exclusivement chargée de la mission de réduire non seulement les inégalités cognitives entre les élèves, mais aussi « la fracture cognitive », c’est à dire, dans notre contexte, le fossé qu’il y a entre d’une part les producteurs [enseignants] des connaissances et d’autre part, les consommateurs qui n’ont pas accès à la connaissance [élèves]. Dans ce sens, l’intelligence artificielle offre une palette d’outils lui permettant de réajuster ses modèles d’apprentissage pour réaliser sa mission. En premier lieu, il convient d’aller vers la personnalisation de l’enseignement par les outils technologiques. En d’autres termes, l’école doit aujourd’hui pouvoir concocter un programme spécial pour chaque élève, un programme correspondant au niveau intellectuel de chaque enfant. Pour cela, les cours en ligne, en mode vidéos- les MOOC
[1]- ou articles, dispensés par des sites web, comme Philoapprendi.net, serviront de recettes pour y parvenir. Car, de nos jours, à force d’utiliser Internet, « un algorithme est capable de décortiquer le comportement de l’élève face à des vidéos et des tests et d’adapter les propositions en conséquence »
[2]. Dès lors, on peut « imaginer que les cours soient systématiquement paramétrés via des enregistrements de l’activité cérébrale pour que leur rythme, progression et organisation générale correspondent exactement à l’état cérébral de l’élève »
[3]. Cet apprentissage adaptatif, en plus d’être innovateur et efficace, révèle un constat glaçant dans le système éducatif classique: la méconnaissance du fonctionnement et des structures du cerveau par les enseignants. Comment aiguiser un cerveau dont on ignore à la fois la structure et le fonctionnement ? À l’ère de l’intelligence artificielle, il est évident que la meilleure manière de booster l’esprit d’un élève c’est de savoir son état cognitif afin de pouvoir stimuler ses sensibilités cérébrales. L’enseignant doit, comme un algorithme, connaître et comprendre les réflexes et comportements cognitifs de chaque élève afin de pouvoir lui proposer les meilleures formules de remédiation. Pour ce faire, il faut impérativement initier les enseignants aux neurosciences- disciplines étudiant le système nerveux, en particulier le cerveau, dans son fonctionnement et sa structure. Ce qui permettra à l’enseignant non seulement de réduire les inégalités cognitives entre les élèves, mais aussi de pouvoir mieux façonner leurs esprits.
En second lieu, l’utilisation des robots en classe deviendra, dans les années à venir, un mode d’apprentissage incontournable et accessible à tous. Il convient donc de réfléchir, en amont, sur leur mode d’utilisation en classe pour maximiser les potentiels intellectuels de chaque élève. Dans ce sillage, une étude menée en Bénin par Carole FAGADE, Cherole NGUEMBI-NGUEMBI DAMANN et Audace OLABA a déjà montré tout « le sens d’un tel dispositif technologique dans un programme pédagogique, notamment par l’acquisition de connaissances mathématiques, scientifiques et technologiques, mais aussi l’acquisition des compétences transversales et le développement des facultés cognitives, métacognitives et sociales des élèves. »
[4] La robotique éducative fera des élèves intellectuellement augmentés.
Mais là aussi, intitule de réinventer la roue. Les enseignants doivent jouer un rôle de premier plan. Pour que la robotique éducative soit une réalité et produise des résultats satisfaisants, il faut former les enseignants à la robotique- c’est à dire les inviter à comprendre la mécanique, l’électronique, l’informatique, la biologie et même les neurosciences. A leur tour, ils initieront leurs élèves et leur apprendront à apprendre de façon efficiente. Car comme le témoigne cette belle phrase d’Alvin Toffler : « les illettrés de demain ne seront plus les analphabètes, mais ceux qui n’ont pas appris à apprendre »
[5]
Une volonté politique assumée pour réduire la « fracture numérique »:
Cependant, il existe, il le faut le dire, un préalable à toutes ces mesures salvatrices dans le domaine de l’éducation : réduire la « fracture numérique ». Selon Alain KIYINDOU, « la fracture numérique désigne le fossé entre d'une part, ceux qui utilisent les potentialités des technologies de l'information et de la communication (TIC) pour leur accomplissement personnel ou professionnel et d'autre part, ceux qui ne sont pas en état de les exploiter, faute de pouvoir y accéder par manque d’équipements ou d'un déficit de compétences. »
[6] Donc, il s’agit de faire en sorte que les infrastructures et outils numériques soient accessibles et disponibles pour tous. C’est un grand défi à relever, surtout pour les pays africains dont la connectivité reste encore faible dans certaines zones. Les écoles doivent être dotées des moyens technologiques et numériques pour profiter davantage des fenêtres d’opportunités offertes par l’IA. Cela requiert juste une volonté politique assumée des autorités politiques. Il faut aller au-delà des slogans, des concepts creux et discours grandiloquents.
Enfin, la conclusion est évidente : ignorer les perspectives offertes par l’intelligence artificielle dans le domaine éducatif, c’est créer des milliers d’illettrés dans ce 21e siècle.
[1] Massive Online Open Course : des vidéos courtes en ligne.
[2] Laurent ALEXANDRE,
La guerre des intelligences A l’heure de ChatGPT, Jean Claude Lattés, Paris, 2023, p.357.
[3] Ibid.[4] Audace OLABA, Carole FAGADE et Cherole NGUEMBI-NGUEMBI DAMANN,
« La Robotique dans le système éducatif béninois : cas des collèges et des lycées publics », dans Intelligence Artificielle. Questions éthiques et enjeux socio-économiques, L’Harmattan, Paris, 2022, p.161.
[5] Cité par Idriss ABERKANE,
Le Triomphe de votre intelligence, aux Editions Robert Laffont, Paris, 2022, p.185.
[6] Alain KIYINDOU, «
De la fracture numérique à la fracture cognitive : pour une nouvelle approche de la société de l'information. », 2007, p.01.